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Dans ce blog, il sera question de publier toutes les réflexions, articles, commentaires et opinions à caractère socio-économiques, politiques, culturels et religieux.


Les Pharisiens étaient-ils si terribles?

Publié par Gabriel MANZUKULA Mjrrdcongo sur 4 Décembre 2017, 10:53am

Catégories : #Actualite, #Politique, #Bible et Reflexion, #Pastoral, #Pape François, #International, #Enseignement - Education

Sommaire

Les Pharisiens sont un groupe politico-religieux de Juifs dévots qui s’est formé au début de la période hasmonéenne (vers -150) en réponse à la crise de l’hellénisation de la Palestine conduite par Antiochus IV et certains sympathisants juifs. Ce groupe met l’accent sur l’étude et la pratique zélée et minutieuse de la loi mosaïque, en particulier ses obligations légales en matière de pureté rituelle. Mais pour justifier toutes ces observances, il développe une théorie voulant qu’il possède un recueil de traditions normatives provenant des anciens et remontant jusqu’à Moïse. Et c’est ainsi qu’en parallèle avec la Torah se développe une tradition orale dont il est le gardien.

L’utilisation des évangiles pour étudier les relations de Jésus avec les Pharisiens doit être faite avec beaucoup de circonspection. Il faut reconnaître d’une part qu’ils sont une œuvre littéraire où l’évangéliste exprime sa théologie (par exemple la présence des Pharisiens en Galilée au début de l’évangile de Marc est artificielle), et d’autre part qu’ils reflètent l’époque où ils ont été écrits, i.e. le conflit de Jésus avec les Pharisiens est plus le reflet des conflits des premiers chrétiens avec la communauté juive vers les années 70 à 90 que ceux de Jésus avec eux. Ainsi, autant on peut établir avec un haut degré de probabilité que Jésus est entré en relation avec les Pharisiens, autant il est difficile de faire remonter un récit précis au Jésus historique.

On peut affirmer sans trop se tromper que Jésus et les Pharisiens sont entrés en collision dans la région de Jérusalem, parce qu’ils s’adressaient tous les deux aux Juifs ordinaires et tentaient tout deux d’influencer leur vision et leur pratique religieuse. Ils pouvaient s’entendre sur l’élection d’Israël, sur le besoin de répondre de tout son cœur aux exigences de la loi, sur la promesse de Dieu de son messie et de la résurrection des morts accompagnée du jugement final, mais les Pharisiens ne pouvaient comprendre ou accepter que les temps eschatologiques étaient déjà commencés avec les actions de Jésus, dont ses guérisons, et que le début de cette restauration du monde tel que Dieu le voulait à l’origine entraînait une morale nouvelle, dont l’interdiction du divorce, une place au célibat, la relativisation du jeûne et des pratiques de pureté rituelle. Mais en ayant dit tout cela, il faut rejeter l’idée que les Pharisiens aient joué un rôle dans l’arrestation et l’exécution de Jésus, car elle n’a aucune base historique.

Notons enfin qu’après la destruction du temple de Jérusalem vers l’an 70 par les Romains, les Esséniens et les Sadducéens disparaîtront de la carte comme groupe, mais les Pharisiens survivront et joueront un rôle fondamental en se regroupant à Yavneh pour mettre par écrit toute leur tradition religieuse et devenir la base du mouvement rabbinique qui traversera les siècles.

Jésus et les groupes concurrents juifs : les Pharisiens

  1. Introduction

     

    Il ne s’agit pas de décrire tous les mouvements de renouveau politique ou religieux à l’époque de Jésus, mais seulement les groupes avec lesquels Jésus a dû interagir.

  2. Une brève histoire des origines

     

    1. Les tensions internes en Israël dès le début

       

      Dès qu’on ouvre l’Ancien Testament, on remarque les guerres intestines en Israël. Il y a d’abord les querelles entre les douze fils de Jacob, puis la guerre civile au moment de la formation de la monarchie, et après l’intermède des règnes de David et Salomon, c’est la division du pays entre le royaume du nord et celui du sud où on assiste au triste spectacle des intrigues de cour pour déterminer les alliances internationales qui se terminent par l’invasion du nord par l’Assyrie en 721 av. J.-C. et du sud par Babylone en 587 av. J.-C. Même quand le roi Perse autorise le retour des exilés au sud en -539 et la reconstruction du temple de Jérusalem, les querelles reprennent et seront exacerbées par l’entrée de la culture hellénistique à Jérusalem et au temple avec le Syrien Antiochus IV Épiphane, impliquant la suppression de la circoncision en -167, à laquelle s’opposeront le prêtre Mattathias, son fils Judas Macchabée et toute la famille hasmonéenne.

    2. Les Hasmonéens comme source de tension

       

      Judas Macchabée mourra au combat en -160, mais ses frères réussiront à éliminer le joug syrien pour établir la dynastie hasmonéenne en Israël. Malheureusement, les Hasmonéens semèrent la zizanie en s’avérant des rois tyranniques et des grand-prêtres illégitimes, ne descendant pas de la lignée de Sadoc. C’est dans ce contexte qu’apparaîtront des groupes comme les Pharisiens et les Esséniens.

    3. Les Esséniens et les Qumrâniens

       

      On ne connaît pas vraiment l’origine des Esséniens et des Pharisiens. Certains érudits les présentent comme descendant des Hasîdîm, des gens fidèles et loyaux qui ont soutenu les Macchabées dans leur révolte, mais auraient par la suite pris leur distance par rapport aux hasmonéens devant leur ambition politique et religieuse. Un groupe d’Esséniens se serait même radicalisés et isolés de la communauté du temple de Jérusalem en formant une communauté des purs dans le désert de Judas à Qumran vers 152 av. J.-C. Mais tout cela demeure des hypothèses et il vaut mieux reconnaître que nous nageons dans le mystère. Ce qui est clair, les Esséniens se considéraient comme les seuls observateurs de la volonté authentique de Dieu alors qu’Israël entrait dans le combat final de la fin des temps. Mais en raison de leur style de vie et de leur isolement, ils n’apparaissent pas dans le Nouveau Testament.

    4. Les Pharisiens et les Sadducéens sous les Hasmonéens

       

      Le retrait des Esséniens donnent toute la place aux Pharisiens et aux Hasmonéens. L’Hasmonéen Jean Hyrcan I commence son règne en favorisant les Pharisiens, avant de se tourner vers les Sadducéens. Mais la pieuse reine Salomé Alexandra (76-69), probablement la veuve d’Alexandre Jannée, fils de Jean Hyrcan, confie la gestion des affaires internes aux Pharisiens qui prennent leur revanche face aux Sadducéens. À sa mort, le combat reprend entre ses deux fils, Aristobule II et Hyrcan II, l’un favorisant les Sadducéens, l’autre les Pharisiens. C’est dans ce contexte qu’entre le général romain Pompée en -63 alors qu’il emprisonne Aristobule II et établit Hyrcan II comme grand-prêtre, et fait de la Palestine une province de Syrie.

    5. Hérode le Grand

       

      C’est dans le cadre des changements apportés par la politique romaine qu’un fin politicien d’Idumée au sud de la Palestine, Antipater, et son fils Hérode, accèdent au pouvoir. Hérode le Grand devient officiellement roi de Judée en -40 et s’emploie par la suite à éliminer tous ses opposants et à intimider l’aristocratie, en particulier les Sadducéens. Il choisit les grands prêtres parmi les familles sacerdotales autres que les Hasmonéens, et ils ne seront que des marionnettes entre ses mains. Les Sadducéens et les Pharisiens seront réduits à des associations de bénévoles sans grande influence.

    6. Les préfets romains et les procurateurs

       

      Après le décès d’Hérode le Grand (4 av. J.-C.) et d’Archélaos (6 ap. J.-C.), son fils incompétent, les Romains instaurèrent un nouveau système comprenant des préfets romains, responsables de l’armée et des affaires financières, mais s’appuyant sur les grands-prêtres et l’aristocratie pour gérer les choses internes de la vie juive, voir au bon ordre et percevoir en leur nom taxes et douanes. Toutefois, Hérode Antipas (qui régna de 4 av. J.-C. à 39 ap. J.-C. sous le titre de tétrarque), un des fils d’Hérode le Grand, fut assez habile pour se maintenir au pouvoir en Galilée, déployant un police veillant au bon ordre et dont Jean-Baptiste a été une victime, mais fut déposé quand il demanda à l’empereur Caligula le titre de roi.

      Nous avons donc d’une part les préfets romains ayant leur quartier généraux à Césarée maritime, mais ne se gênant pas pour déployer leurs troupes à Jérusalem lors des grandes fêtes, ou encore mettre la main sur le trésor du temple pour payer des frais de travaux publics. D’autre part, nous avons les grands-prêtres et une riche aristocratie, surtout des Sadducéens, qui jouaient le rôle de tampon entre l’autoritarisme romain et la sensibilité juive. Mais tout cela représentait un équilibre précaire et difficile. Voilà pourquoi tant du côté des préfets que des grands-prêtres les règnes sont très courts. Il y a pourtant des exceptions du côté des préfets avec Gratus (15-26) et Pilate (26-36), et du côté des grands-prêtres avec Joseph Caïphe (18-36) : cela donne une bonne idée de leur habileté politique et de leur pragmatisme.

      C’est dans ce contexte qu’il faut situer les Pharisiens de l’époque de Jésus. Alors que les Sadducéens se plaisent à cet arrangement politique avec les Romains, les Pharisiens par contre se retrouvent un peu à l’ombre, sans réel pouvoir politique. Toutefois, en raison de l’étendue de leur connaissance dans la loi mosaïque, leur réputation était très grande chez les Juifs ordinaires. Ils étaient donc les seuls en mesure de questionner Jésus. Cette connaissance leur permit d’appartenir au groupe des fonctionnaires, bureaucrates et éducateurs, et donc par là d’exercer une certaine influence sur la vie politique, même si c’était de manière indirecte. On retrouve également des prêtres dans le groupe des Pharisiens, ainsi que des notables, comme Gamaliel, peut-être, que les Actes des Apôtres nous présentent comme avocat et maître de Paul.

    7. La nouvelle situation après l’an 70 ap. J.-C.

       

      Avec la fin de la première guerre juive et la destruction de Jérusalem et son temple, on assiste non seulement à la disparition de la Judée comme état indépendant, mais également à l’élimination de la classe sacerdotale ainsi que de l’aristocratie tant sacerdotale que laïque, dont beaucoup de Sadducéens faisaient partie. Même Qumran sera détruit en 68 et les Esséniens disparaissent de la carte. Tous les groupes apocalyptiques qui avaient salué le début de la guerre périront ou seront discrédités pour toujours. Bref, le seul groupe à survivre et à conserver le respect des gens, ce sont les Pharisiens. Ceux-ci se regrouperont à Yavneh, sur le bord de la Méditerranée, pour mettre par écrit toute leur tradition, qui était avant tout orale, et pour l’adapter à la situation nouvelle. Avec d’autres Juifs pieux, ils sont les précurseurs de ce qui deviendra plus tard le mouvement rabbinique. On note quelques grandes figures : Johanan ben Zakkai, Eliezer ben Hyrcan, Gamaliel II et Judas le Patriarche, le compilateur final de la Mishna, vers l’an 220.

Le problème des sources et de la méthode

 

  1. Le Nouveau Testament comme source

     

    Nous retrouvons la première mention du mot Pharisien vers 56-58 chez Paul dans son épitre aux Philippiens quand il décline son identité : « Circoncis dès le huitième jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d'Hébreux; quant à la Loi, un Pharisien… » (Ph 3, 5) C’est la seule référence chez Paul, et elle est indirecte. Dans les évangiles, le mot apparaît d’abord chez Marc (vers l’an 70), douze fois. Mais le traitement que nous en donne Marc reflète les querelles entre Chrétiens et Pharisiens dans l’église primitive. La situation empire avec les autres évangiles. Il faut donc utiliser ce matériel avec beaucoup de circonspection. Quant aux Sadducéens, les données sont encore plus limitées.

  2. Josèphe comme source

     

    L’historien juif Flavius Josèphe offre 14 passages où il parle des Pharisiens, dont 9 où il discute de leurs croyances et activités. Il faut cependant demeurer circonspect devant tout ce qu’il écrit sur le sujet : il brosse d’abord un portrait négatif des Pharisiens dans ses premières œuvres, avant d’arriver avec une image plus positive dans ses derniers écrits, sans doute par calcul politique devant la place occupée par les Pharisiens dans la reconstruction de la communauté juive à l’approche du 2e siècle. Il faut rejeter l’idée que Josèphe ait été lui-même un Pharisien malgré ses prétentions : ce qu’il affirme dans ses écrits présente trop de contradictions.

  3. La littérature rabbinique comme source

     

    Cette littérature comprend la Mishna (200-220), la Tosefta (3e s.), le Talmud de Jérusalem (5e s.) et le Talmud de Babylone (6e s.). Mais nous rencontrons ici les mêmes problèmes que nous avons avec les évangiles : comment isoler dans ces écrits ce qui remonte à l’époque de Jésus? On ne peut pas assumer que le mot perûsîm (perîsayya en araméen) dans tous ces écrits désigne nos Pharisiens. Car le mot signifie littéralement « les séparés » ou « les séparatistes » et peut désigner différents groupes, comme les gens extrêmement pieux ou ascétiques, ou encore des gens sectaires ou hérétiques. Notre approche se centre plutôt sur des passages qui présentent les conflits de ce groupe avec les Sadducéens, puisque cela reflète le contexte du Nouveau Testament et que les Sadducéens sont disparus après l’an 70.

    La Mishna offre un passage qui témoigne de cinq controverses avec les Sadducéens.

    1. Les Sadducéens rejettent l’idée des Pharisiens que le contact des écritures saintes avec les mains rendent celles-ci impures, alors que le contact avec d’autres types d’écrits, comme Homère, ne les rend pas; pour les Pharisiens, les Sadducéens sont incohérents, car ils affirment pour leur part que les os d’un grand-prêtre rendent impur, i.e. les objets d’un ordre supérieur rendent impur (m. Yad. 4, 6).
    2. Les Sadducéens rejettent l’idée des Pharisiens qu’un liquide s’écoulant de manière continue d’un récipient pur à un récipient impur ne rend pas le premier impur (m. Yad. 4, 7).
    3. Par contre, les Pharisiens refusent l’idée des Sadducéens que l’eau s’écoulant d’un cimetière est pur (m. Yad. 4, 7).
    4. Les Sadducéens ne comprennent pas pourquoi les Pharisiens considèrent le propriétaire d’un bœuf ou d’un âne responsable des blessures causées par ses animaux, mais pas pour le propriétaire d’un esclave; les Pharisiens répondent que l’esclave est capable de répondre de ses actes (m. Yad. 4, 7).
    5. Les Sadducéens et les Pharisiens se querellent sur la façon de rédiger un acte de divorce, les premiers inscrivant le nom du dirigeant de l’heure en haut de la page, et le nom de Dieu en bas de la page, les derniers inscrivant plutôt le nom de Moïse en bas de la page (m. Yad. 4, 6).

       

    Dans l’ensemble, les positions tenues par les Pharisiens concernent les domaines de la pureté rituelle ainsi que les questions de loi civile, comme la responsabilité des dommages et le divorce.

    Ces querelles entre Pharisiens et Sadducéens se retrouvent également dans la Tosefta, en particulier deux passages.

    1. Les Sadducéens maintiennent que la menora, ce chandelier du temple, ne peut devenir impure, alors que les Pharisiens maintiennent la position contraire (t. Hag. 3, 35).
    2. Les Boethusiens ou Sadducéens considèrent qu’une fille peut hériter de son père, alors que les Pharisiens disent le contraire.

       

    Encore une fois, ces positions concernent la pureté rituelle et la loi civile.

    Tout cela résume ce qu’on peut obtenir de la littérature rabbinique. On ne peut assumer que tous les scribes étaient Pharisiens, ou encore que toutes les législations religieuses ou civiles provenaient des Pharisiens, et donc que l’ensemble de cette littérature rabbinique serait le reflet de la pensée pharisienne.

  4. La méthode qu’il faut choisir

     

    Nous utiliserons les mêmes critères d’historicité que nous avons utilisés pour l’étude des évangiles. Par exemple, il y a le critère d’attestations multiples tant des sources que des formes, puisqu’il n’y a aucune dépendance entre Paul, la source Q, Marc, Jean, Josèphe et la Mishna, et ceux-ci appartiennent de plus à des époques différentes et ont été écrits dans des lieux différent, et relèvent de genres littéraires très différents. Quand on rencontrera des affirmations sur les Pharisiens qui ne cadrent pas avec la pensée d’un auteur, on pourra évoquer le critère d’embarras.

  1. Les Pharisiens

     

    1. Quelques portraits du 20e siècle sur les Pharisiens

       

      Les érudits du 20e siècle nous ont donné plusieurs portraits qui sont aujourd’hui mis à la poubelle.

      1. L’approche sociologique nous a offert le portrait de pharisiens comme des Juifs prolétaires et courtois, se consacrant à l’étude de la loi et s’opposant à l’aristocratie sadducéenne d’origine rurale.

         

      2. Pour d’autres, les Pharisiens sont des érudits laïcs et libéraux qui cherchent à transformer une société autrefois agraire en société urbaine et pour laquelle il faut maintenant adapter les anciennes lois du Pentateuque, en particulier le système religieux lié aux sacrifices d’animaux.

         

      3. Quelqu’un comme Jacob Neusner prétend que les Pharisiens cherchent simplement à donner suite à l’appel du Lévitique (Lv 19, 2) adressé à tout le peuple pour qu’il soit saint comme Dieu est saint, et donc cherchent à vivre l’idéal de sainteté sacerdotale, d’où leur effort pour prendre leur repas quotidien dans un état de pureté rituelle propre aux prêtres. Ils seraient un club de repas saints, sans visée politique. Cette position a été très critiquée, entre autres par E.P. Sanders, qui ne voit aucun document appuyant cette idée d’une poursuite de pureté sacerdotale.

         

      4. De plus, au cours de leur histoire, les Pharisiens ont cherché à exercer une pression politique à chaque fois qu’ils l’ont pu. Un exemple extrême est celui de leur action politique lors du recensement de Quirinius en l’an 6 alors que le Pharisien Saddoc s’est joint à Judas le Galilée dans la direction de la révolte. Même si le pouvoir romain les a quelque peu marginalisés, ils joueront un rôle dans la révolte de 66.

         

    2. Une esquisse minimaliste en six points

       

      Les six points qui suivent constituent ce qu’on peut dire au minimum sur les Pharisiens.

      1. Ils représentent un groupe Juif qui a des intérêts à la fois religieux et politique, et qui a été actif en Palestine avant la première guerre juive.

         

        1. Ce fait est confirmé par Paul de Tarse, lui-même Pharisien (Ph 3, 5), qui est devenu chrétien vers le milieu de l’an 30.
        2. L’historien juif Flavius Josèphe écrit dans son Autobiographie (III, 12) qu’il a cherché à suivre l’école de pensée pharisienne à l’âge de 19 ans, soit vers l’an 56.
        3. Comme nous l’avons étudié précédemment, la tradition rabbinique parle des controverses Pharisiens-Sadducéens qu’il faut situer avant la destruction du temple en l’an 70.

           

      2. Les Pharisiens avaient la réputation d’être des interprètes exacts et précis de la loi mosaïque. Voilà un point qu’appuie d’abord Josèphe en disant qu’ils étaient connus pour leur connaissance exacte de la loi mosaïque et des coutumes ancestrales. Paul va dans le même sens lorsqu’il parle de son zèle pour la tradition des pères (Ga 1, 14) et du fait qu’il était irréprochable selon la justice de la loi (Ph 3, 6). Exactitude dans l’interprétation de la loi et dans l’agir, voilà la marque de commerce des Pharisiens.

         

      3. Les controverses de Jésus avec les Pharisiens reflètent les discussions plus larges au premier siècle sur l’interprétation correcte de la loi mosaïque. Ces discussions existaient parce que les positions légales avaient suivi un développement qui dépassait le texte même de la loi mosaïque. Les Qumraniens ont décidé de se séparer et de s’isoler dans le désert. Les Pharisiens, pour leur part, admettent que leurs pratiques ne se trouvent pas dans la loi mosaïque, mais qu’elles proviennent néanmoins de la tradition vénérable des pères et représentent la volonté de Dieu. Mais à l’inverse des Sadducéens, ils étaient très engagés à convaincre les Juifs ordinaires à observer leurs traditions dans leur vie quotidienne. Les Sadducéens de leur côté rejetaient ces traditions orales pour n’accepter que les traditions écrites.

         

        Ces faits sont confirmés par Josèphe qui décrit comment les Pharisiens, sous le règne de Salomé Alexandra, avaient imposé au peuple leurs lois spéciales selon la tradition de leurs pères (Antiquité Judaïques 13, 16.2). Luc nous donne à leur sujet un écho semblable quand il fait dire à Paul que c'est aux pieds de Gamaliel qu’il a « été formé à l'exacte observance de la Loi de nos pères. » (Ac 22, 3) L’évangéliste Marc brosse un portrait semblable des Pharisiens en parlant de leur obsession pour les traditions ancestrales, absentes des écrits mosaïques. Il les situe surtout à Jérusalem et leur présence en Galilée ne semble pas avoir été significative.

        Le traité Pirquê 'abôt de la Mishna raconte que Moïse a reçu la Torah au Sinaï et l’a transmis à Josué, qui l’a transmis aux anciens, qui l’ont transmis aux prophètes, qui l’ont transmis aux gens de la Grande Assemblée (après l’exil à Babylone), et ainsi de suite jusqu’aux Pharisiens Hillel et Shammaï (fin du premier siècle av. J.-C. et début du premier siècle ap. J.-C.), à qui ont succédé le fameux Pharisien Gamaliel I dont parlent les Actes des Apôtres (Ac 5, 34) ainsi que son fils Siméon I. Nous avons donc ici le témoignage d’une tradition orale ininterrompue qui remonte au Sinaï et qui a une valeur normative égale à celle de la Torah écrite, et dont les Pharisiens se considèrent les dépositaires. Cette tradition pharisienne sera à la source de la tradition rabbinique où on parlera des deux Torah.

      4. En s’appuyant sur de multiples sources comme les traditions évangéliques et la Mishna dans sa strate la plus ancienne, on peut reconstituer les principales préoccupations des Pharisiens.

         

        1. Les règles de pureté sur la nourriture et les vases contenant nourriture et liquides
        2. Les règles de pureté sur les corps et les cercueils
        3. La pureté et la sainteté du mobilier pour le culte au temple de Jérusalem, ainsi que la bonne façon de pratiquer sa religion et d’offrir un sacrifice au temple
        4. La dîme et les parts dues aux prêtres
        5. L’observance correcte du sabbat et des jours saints, surtout dans le contexte du travail et des voyages
        6. Le mariage et le divorce, incluant l’acte lui-même et son motif

           

      5. Ces préoccupations pharisiennes se concentrent sur les décisions légales et reflètent l’accent juif sur l’orthopraxie plutôt que sur l’orthodoxie. Pourtant le Judaïsme contient certaines croyances doctrinales si l’on se fie à Josèphe et aux évangiles.

         

        1. L’évangile de Marc nous présente les Sadducéens comme refusant la résurrection des morts (Mc 12, 18-27), alors qu’ils sont en opposition aux Pharisiens. Ceux-ci au contraire croient en cette résurrection des morts, comme le confirme Luc (Ac 23, 6-9) dans la bouche de Paul le Pharisien. Josèphe affirme clairement que c’est là un point de divergence entre Sadducéens et Pharisiens (Guerre Juive 2, 8.14), car les Pharisiens croyaient à l’immortalité de l’âme ainsi qu’à une récompense ou punition après la mort. Enfin, la Mishna, qui poursuit la tradition pharisienne, exclut de la vie future ceux qui ne croient pas en la résurrection des morts.

           

        2. La foi en la résurrection des morts va de pair avec la foi à la venue d’événements eschatologiques et apocalyptiques, ainsi qu’avec une doctrine de l’histoire du salut, du messie et d’une Jérusalem et d’un temple renouvelés à la fin des temps. C’est ce que confirmerait les Psaumes de Salomon et le livre des Jubilées, des écrits intertestamentaires au tournant de l’ère moderne, dans la mesure où on accepte leur source pharisienne. C’est ce que confirme également Paul de Tarse dans la mesure où on accepte de dire que ses fondements pharisiens transparaissent à travers sa théologie chrétienne.

           

          1. Les difficultés de Paul concernant la foi chrétienne ne résidaient pas dans l’acceptation de l’existence d’un Messie, qui lui venait de sa foi pharisienne, mais dans la reconnaissance que Jésus de Nazareth, l’homme crucifié, était ce Messie.
          2. De la même façon, Paul croyait en la résurrection des morts aux derniers jours, mais ses difficultés venaient de l’acceptation que ce moment était arrivé avec la résurrection de Jésus.
          3. La façon dont Paul réinterprète l’Ancien Testament à la lumière du Christ, de l’histoire du salut et de l’Église, provient de l’habitude pharisienne de relire les Écritures dans une perspective eschatologique et messianique.
          4. Pour Paul le Pharisien la loi mosaïque était la trame de fond de sa vie, et c’est pourquoi en devenant chrétien il doit mourir à cette loi comme il le dit dans son épitre aux Galates (Ga 2, 19).

             

        Bref, les Pharisiens nourrissaient une vision théologique beaucoup plus large que la simple observance des préceptes légaux le laisse entendre. Il est même probable qu’ils aient développé certaines formes de prière et de vie communautaire.

      6. Le dernier élément de la doctrine pharisienne concerne l’équilibre entre la providence divine et l’effort humain. Comme Josèphe tente de situer les Pharisiens dans le cadre de la culture gréco-romaine, il parle plutôt de destin face au libre arbitre. Mais sa façon de procéder est de comparer les Pharisiens aux Sadducéens et aux Esséniens. Pour lui, les Esséniens de Qumran mettent l’accent sur la prédestination où Dieu ordonne d’avance toutes choses et où l’humanité ne peut s’extraire du péché sans Lui, même si la liberté humaine existe pour se repentir et entrer dans la communauté. À l’opposé, les Sadducéens mettent l’accent sur l’effort humain et sa capacité de prendre des décisions dans la sphère politico-religieuse. Où se situent les Pharisiens dans ce spectre? Au milieu. Nous avons trois textes de Josèphe pour le préciser.

         

        1. Dans un premier passage (Guerre Juive 2, 8.14), il affirme que les Pharisiens attribuent toutes choses au destin et à Dieu. Même s’il mentionne que l’activité morale réside pour une bonne part dans les mains de l’être humain, il revient tout de suite à la force du destin. Mais la présentation des Pharisiens dans ce passage se fait en contraste aux Sadducéens.
        2. Dans un second passage (Antiquité Judaïques 13, 5.9), les sphères du destin et de l’action humaine occupent chacun la moitié de l’histoire humaine.
        3. Dans un troisième passage (Antiquité Judaïques 18, 1.3), Josèphe parle de fusion entre le destin qui accomplit toutes choses et la volonté humaine qui peut prendre des décisions dans les limites de son pouvoir.

           

        Bref, les Pharisiens voyaient l’histoire d’Israël sous la mouvance de Dieu qui la dirigeait inexorablement vers la consommation cosmique où il ressuscitera et jugera les morts. C’est la responsabilité d’Israël d’obéir à la volonté divine telle que révélée par la loi et les traditions des pères. Mais en tout cela ils ne se distinguaient pas du Juif ordinaire qui partageait une foi semblable. Ce n’est pas un seul point qui distinguait les Pharisiens des autres, mais un ensemble de composantes mises ensemble.

    3. Résumé : une esquisse minimaliste des Pharisiens

       

      Voici comment nous pourrions résumer ce que nous savons des Pharisiens. Ils sont un groupe politico-religieux de Juifs dévots qui s’est formé au début de la période hasmonéenne (vers -150) en réponse à la crise de l’hellénisation de la Palestine conduite par Antiochus IV et certains sympathisants juifs. Ce groupe met l’accent sur l’étude et la pratique zélée et minutieuse de la loi mosaïque, en particulier ses obligations légales en matière de pureté rituelle. Mais pour justifier toutes ces observances, il développe une théorie voulant qu’il possède un recueil de traditions normatives provenant des anciens et remontant jusqu’à Moïse. Et ces observances sont une façon pour le peuple de répondre à Dieu qui l’a mis à part et lui a donné la loi. En étant fidèle à Dieu et à sa loi, Dieu enverra son Messie, et lors du jugement récompensera son peuple en le faisant accéder au monde futur des justes.

    4. Les relations de Jésus avec les Pharisiens

       

      Les difficultés d’établir l’historicité des relations de Jésus avec les Pharisiens sont semblables à celles que nous avons eu pour les récits de miracle : autant on a pu établir de manière générale avec un haut niveau de probabilité que Jésus a fait des guérison et des exorcismes, autant établir l’historicité d’un récit précis est problématique; il en est de même pour les relations de Jésus avec les Pharisiens. Regardons d’abord des passages où on perçoit le travail rédactionnel des évangélistes, pour ensuite considérer ce qui peut avoir un fond historique.

      1. Passages où on remarque la plume de l’évangéliste.

         

        1. Chez Marc, la section 2, 1 - 3,6, appelée cycle de Galilée, a été composée avec soin pour donner une œuvre à la fois artistique et théologique. Ce côté artistique se voit avec le modèle concentrique autour de thèmes clés : (1) guérison d’un paralytique (Mc 2, 1-12), (2) repas avec les pécheurs et les collecteurs d’impôt (Mc 2, 13-17), (3) le jeûne non pratiqué par les disciples de Jésus (Mc 2, 18-22), (4) repas des disciples en arrachant des épis un jour de sabbat (Mc 2, 23-38), (5) guérison de l’homme à la main desséchée (Mc 3, 1-6). Les Pharisiens apparaissent progressivement sur scène pour devenir le seul groupe hostile à interroger Jésus et à tramer sa mort. Mais tout cela est artificiel, car lorsque Marc racontera le procès de Jésus, les Pharisiens ne joueront aucun rôle. La seule mention des Pharisiens à Jérusalem est cette scène où ils interrogent Jésus avec les Hérodiens sur l’impôt à César (Mc 12, 13), une scène qui pourrait faire référence à Mc 3, 6, une technique littéraire appelée inclusion.

           

        2. Ce travail littéraire se voit également chez Luc qui maintient toutefois une distinction entre les malédictions adressées aux Pharisiens (Lc 11, 39-44) et celles adressées aux légistes (Lc 11, 45-42), une distinction qu’il tient peut-être de la source Q.

           

        3. Matthieu met les Pharisiens et les scribes dans le même panier, si bien que plusieurs passages où Marc parlent des scribes renvoient maintenant aux Pharisiens chez lui : les Pharisiens sont les opposants par excellence.

           

        4. Chez Jean, les Pharisiens deviennent le seul groupe dominant du Judaïsme, un reflet de la Palestine à la fin du premier siècle de l’ère chrétienne. Pharisiens et Juifs deviennent synonymes, et jouissent du pouvoir d’expulser des gens de la synagogue (cf Jn 9, 22). Et leur conflit avec Jésus devient le reflet du conflit des Juifs du premier siècle avec la jeune communauté chrétienne. Après avoir affirmé le côté rédactionnel de ces scènes avec les Pharisiens, il faut tout de même reconnaître certaines notes historiques : les Pharisiens sont surtout localisés à Jérusalem, ou encore ils habitent plutôt la ville. Tout cela est cohérent avec le fait qu’ils doivent avoir certains moyens pour se consacrer à l’étude.

           

      2. Passages qui ont une haute probabilité d’être historiques.
        1. La scène du conflit de Jésus avec les Pharisiens au sujet du divorce (Mc 10, 1-12), une scène qui reflète les débats entre les maisons de Hillel et de Shammaï et où Jésus s’appuie sur sa vision eschatologique d’une création en accord avec les intentions de Dieu.
        2. Les malédictions prononcées par Jésus à la manière des prophètes sur les Pharisiens qui refusent son message (Lc 11, 39-44, tiré de la source Q).
        3. La parabole du publicain et du Pharisien (Lc 18, 10-14, tiré de sa source propre)
        4. Les scènes avec des Pharisiens qui lui sont sympathiques, comme Nicodème (Jn 3, 1.10; 7, 47-52) ou ce Simon qui l’invite à sa table (Lc 7, 36-50).

           

      En bref, comme Jésus et les Pharisiens s’adressaient tout deux au Juifs ordinaires et tentaient tout deux d’influencer leur vision et leur pratique religieuse, il n’est pas surprenant qu’ils soient entrés en conflit. Bien sûr, ils s’entendaient sur un certain nombre de points : Israël comme peuple choisi par Dieu, le don de sa loi, le besoin de répondre de tout son cœur aux exigences quotidiennes de la loi, la gouverne de Dieu à travers l’histoire jusqu’à la fin des temps où il enverra son messie, jugera le monde et ressuscitera les morts. Mais les désaccords étaient nombreux :

      1. Pour Jésus le futur eschatologique était déjà commencé et il en était l’élément central
      2. Ses miracles étaient le signe de cette eschatologie déjà commencée
      3. Son enseignement sur le comportement quotidien tiré de sa vision eschatologique
        1. Le refus du divorce
        2. Le célibat comme l’une des voies pour servir le royaume de Dieu
        3. Le refus du jeûne volontaire
        4. La relativisation ou le refus de certaines obligations familiales ou règles de pureté

           

      Ces désaccords entraînaient des débats féroces et on peut comprendre que Jésus ait proféré à certains moments des malédictions à l’égard des Pharisiens à la manière des prophètes et les ait attaqués soit ouvertement soit de manière voilée dans ses paraboles.

 

 

 

Meier v.3, chap 28, pp 289-388 (version anglaise).

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